« Voudriez-vous me dire, s’il vous plaît, par où je dois m’en aller d’ici ? » — Cela dépend beaucoup de l’endroit où tu veux aller, répondit le Chat — Peu m’importe l’endroit… dit Alice — En ce cas, peu importe la route que tu prendras. — … pourvu que j’arrive quelque part, ajouta Alice en guise d’explication. — Oh, tu ne manqueras pas d’arriver quelque part, si tu marches assez longtemps. » (Lewis Carroll, Alice au pays des merveilles)
Si on ne sait pas jusqu’où on veut aller on risque d’arriver « quelque part », un endroit où peut-être on ne veut pas aller. Tel est l’enjeu d’une réflexion sur les frontières de l’espace politique européen.
Longtemps, l’Europe a semblé vouloir bannir les frontières. A l’intérieur de l’Union européenne, avec l’Espace Schengen, l’ambition était de les faire disparaître. A l’extérieur, l’horizon de l’élargissement s’imposait, sans limites claires. Dans ce contexte, on discutait peu des limites et des frontières. C’est peut-être une des raisons de la crise identitaire de l’Union européenne d’aujourd’hui qui, à défaut de prendre le sujet à bras le corps, voit de plus en plus ses Etats et citoyens se replier sur eux-mêmes, à la recherche désespérée de nouvelles frontières rassurantes, réelles ou mythiques. Car les évolutions politiques de la Russie, de la Turquie et de la rive sud de la Méditerranée, partenaires d’hier devenus concurrents, le « retour » de la guerre sur le sol européen, la perspective de l’élargissement, dans ce contexte critique, vers l’Ukraine, la République de Moldavie ou les Balkans, et la nécessité d’une refondation démocratique de l’Europe elle-même contraignent cette dernière à se poser les questions fondamentales qu’elle a jusque-là négligées : quel est l’espace politique européen pertinent ? Quelles sont ses frontières ? Que signifient-elles ? Et plus précisément : sont-elles une séparation ou un espace de confluences, de mobilité ? Comment redéfinir la stratégie d’élargissement et la Politique de voisinage ? Quel nouveau rapport établir avec les Etats de la rive sud de la Méditerranée, dont le sort paraît éclipsé à nos yeux par l’urgence de la guerre à l’Est ?
Ces questions, le Cercle Agénor a décidé de les poser et d’esquisser une réponse, en sollicitant les regards croisés de responsables politiques, d’experts de terrain et de citoyens intéressés. La réflexion, engagée à l’été 2022, a été retranscrite dans un numéro dédié de la Revue du Cercle Agénor. L’objet de ce webinaire est de faire le point, un an après : quelles sont les principales idées-forces qui ont émergé de cette réflexion ? Sont-elles toujours valides aujourd’hui ? Qu’est-ce qui a changé ? Quel regard porter, à l’aune de cette réflexion, sur les évolutions politiques observées depuis 2022 ? En France, à travers par exemple les projets législatifs initiés sur des sujets étroitement liés, comme la loi de programmation militaire ou le projet de loi sur les migrations ? Et en Europe, alors que la guerre en Ukraine se poursuit et que se profilent les élections européennes dès 2024 ?