La figure de Giorgio La Pira, aujourd’hui méconnue du grand public, offre un remarquable et intemporel exemple d’engagement politique. La lecture de « Giorgio La Pira, un mystique en politique »1 d’Agnès Brot (ancienne directrice du centre d’études Edmond Michelet, un autre « mystique en politique ») s’est révélée très inspirante pour l’élue locale que je suis.
Qui était-il, d’abord ? Homme politique italien, figure de la démocratie chrétienne, il fut maire de Florence entre 1951 et 1965. Né en 1904 au sud de la Sicile, au sein d’une famille de cultivateurs pauvres, ainé de 6 enfants, La Pira grandit dans un petit village dont les principales ressources étaient la pêche et l’agriculture. Il partit vivre à l’âge de 9 ans chez son oncle à Messine, ville sinistrée par un tremblement de terre six ans auparavant, qui avait causé la mort de plus de 84 000 personnes. Enfant très vif, il commença à écrire des articles dès l’âge de 15 ans. Après l’obtention du bac en 1921, il découvrit des philosophes comme Maurice Blondel, étudia le droit, et vécu une première expérience spirituelle d’ampleur en 1924.
La Pira peut constituer un heureux et inspirant repère pour les politiques, en particulier pour les élus locaux, dont le quotidien consiste à essayer d’apporter des réponses très concrètes aux citoyens.
Par les principes qui ont guidé sa vie, en particulier celui de la primauté de la personne humaine
La Pira a repris à son compte une idée-force de Saint Thomas d’Aquin2 : la primauté de la personne humaine sur les autres réalités visibles, parce qu’elle est créée à l’image de Dieu. Proche des dominicains, il cultivait également des aspects très franciscains : « l’amour des pauvres et le choix de la pauvreté pour lui-même, la recherche de la paix, l’amour de la création » nous dit Agnès Brot (p. 45).
Pour La Pira, le maire a pour mission de sauvegarder le lien du citoyen avec sa ville. « La personne humaine est d’une certaine façon définie par la ville dans laquelle elle s’enracine, comme la plante dans son champ » (p. 92). Il est fondamental de soigner le cadre de vie et l’accès de tous à tous les services, en particulier à la culture. Le pape François développe la même idée dans son encyclique « Laudato si » : le cadre qui nous entoure influe sur notre manière de voir la vie, de sentir et d’agir.
Spes contra spem – Espérer contre toute espérance : Loin d’être naïf et très en prise avec les réalités du monde, La Pira demeurait toutefois solidement ancré dans une espérance à toute épreuve. Il savait, comme le rappelle Agnès Brot, que l’espérance ne supprime pas toutes les épreuves, les guerres, la pauvreté. L’espérance est un risque à courir, mais est-ce que, par peur de perdre la semence, le semeur s’abstient de semer ? (p. 122)
Parce qu’il a fait des pauvres sa boussole, toute sa vie
Avant d’accéder à la mairie de Florence, il fonda deux conférences Saint Vincent de Paul. A l’instar de Frédéric Ozanam3, il était convaincu que « la question qui agite aujourd’hui le monde autour de nous est sociale, c’est la lutte de ceux qui n’ont rien et de ceux qui ont trop, c’est le choc violent de l’opulence et de la pauvreté qui font trembler le sol sous nos pas » (p. 49). Sur ce plan, le diagnostic posé il y a près de 150 ans par Ozanam reste d’actualité… Pour La Pira comme pour Ozanam, « la dignité de l’homme passe avant toute autre considération ».
Par le sens qu’il donne à la politique
Pour lui la politique n’est pas un métier mais un service. Comme il l’écrivit au président Nasser en 1964, « c’est aussi une mystique. Les hommes politiques qui ne croient pas en cela, ce ne sont que des directeurs généraux… » (p. 15) A ses yeux, l’histoire elle-même est une mystique, c’est une marche vers Dieu. « La politique consiste à rythmer, à proportionner ce mouvement, à donner ses dimensions à ce phénomène ».
Pour La Pira, si les politiques ne prennent pas le temps de méditer, alors ils ne sont que de simples gestionnaires. Il affirme encore : « la vraie vie est celle de ceux qui savent rêver aux idéaux les plus élevés et savent ensuite traduire dans la réalité du temps les choses entrevues dans la splendeur des idées4 ».
Parce qu’il fut un infatigable artisan de paix
Convaincu du rôle des villes dans la poursuite de la paix (« il faut unir les villes pour unir les nations »), il multiplia les jumelages entre Florence et d’autres villes (Reims, Kyoto, Philadelphie…). Dans son discours d’investiture à la tête de la Fédération des Villes Unies en 1967, il affirma que « les villes entendent collaborer à l’unité du monde, elles veulent créer un système de ponts, scientifiques, économiques, techniques, urbanistiques, politiques, sociaux… qui les unissent les unes aux autres. » (p. 144).
Il institua des colloques méditerranéens à partir de 1958 pour promouvoir la paix entre les peuples de chaque côté de la mer. Il effectua aussi plusieurs voyages derrière le Rideau de fer dans les années 1950, puis au Viet Nam, en 1965, contre la guerre. Dans le contexte du début des décolonisations, ces initiatives illustraient bien sa devise « spes contra spem ». Il créa par ailleurs la première amitié judéo-chrétienne d’Italie, en 1950.
L’exemple de La Pira me paraît très inspirant car son ancrage dans le réel s’enracine dans une profonde foi en l’homme et des idéaux très forts. On peut être pétri d’idéaux et s’engager dans des réalités difficiles pour espérer changer la vie des gens !
Crédits photographiques : Alice Le Moal
Alice Le Moal
Alice LE MOAL est adjointe au Maire de Clichy-la-Garenne et Conseillère départementale des Hauts-de-Seine. Elle est par ailleurs membre du Bureau exécutif du MoDem. Diplômée de SciencesPo Bordeaux (relations internationales, 2010), passée par l'Ecole Nationale d'Administration de Cotonou, au Bénin (2007), elle a parcouru l'Afrique d'ouest en est, s'est engagée et a travaillé dans plusieurs associations humanitaires en France et à l'international (Afrique, Haïti).
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Notes
- Agnès Brot, Giorgio La Pira : Un mystique en politique, Paris, Desclée de Brouwer, 2016, 224 p.
- Exprimée dans sa Somme théologique, un traité théologique et philosophique rédigé à la fin du XIIIème siècle.
- Cet essayiste et historien français du XIXe siècle a fondé la Société de Saint Vincent de Paul, pour exercer la charité envers les pauvres, en particulier les jeunes.
- Discours de La Pira pour l’inauguration de l’Isolotto, un quartier de Florence rénové après-guerre, le 4 novembre 1954.